Des plongeurs explorant une pyramide vieille de 2 300 ans découvrent la tombe sous-marine d’un puissant pharaon.

L’eau n’est pas très attrayante, mais cela n’empêche pas Kristin Romey de se préparer à plonger dans les profondeurs. Juste au-dessus de sa tête se trouve un gros indice qui aide à comprendre pourquoi elle s'inflige cette épreuve. Dans cette région au nord du Soudan se trouve une pyramide, un monument dédié à un monarque disparu depuis longtemps, qui fait songer à ce royaume ayant autrefois régné sur de vastes parties de l’Afrique du Nord. Et lorsque Romey et son collègue atteignent leur destination, leur découverte est tout simplement stupéfiante.

Ils savent tous les deux où ils se rendent. La tombe d'un homme se trouve sous cette pyramide, mais il ne s’agissait pas de n'importe quel homme ; Nastasen fut pharaon de Nubie et fut enterré ici il y a plus de 2 000 ans. Romey, archéologue de formation, descend à présent un escalier gravé à même la roche. Toute sa réserve d’air, en cas d'urgence, est contenue dans un minuscule bidon.

Au pied de l’escalier patiente Pearce Paul Creasman, un autre archéologue qui travaille grâce à des fonds alloués par le National Geographic. Il accueille sa collègue avec quelques avertissements : "C'est vraiment profond aujourd'hui. On ne sera pas beaucoup hors de l’eau dans la première chambre." En effet, Creasman lui-même est déjà dans cette eau trouble jusqu'à la poitrine.

Quelques semaines seulement auparavant, Creasman s’était introduit pour la première fois dans la tombe inondée de Nastasen. Romey et lui vont à présent descendre ensemble dans les trois chambres et partir à la recherche de ce sarcophage qui serait resté intact au fil des siècles. Mais avant que le duo n'atteigne son objectif, Creasman indique à Romey une grille métallique et lui apprend qu’elle va devoir se faufiler dans cette ouverture si étroite afin de pénétrer dans la catacombe.

La tombe explorée par les deux archéologues se situe à Nuri – un site qui s'étend sur presque 200 acres de terrain. Nuri est aussi relativement proche de la rive orientale du Nil, qui se situe elle-même à une certaine distance au nord de Khartoum, la capitale du Soudan. Cette zone est surtout connue pour la vingtaine de pyramides qui s’y trouvent, toutes construites entre 650 et 300 avant J.-C.

La base de la pyramide de Nastasen est un carré de 30 mètres de côté situé sur une petite zone de terrain plat. Toutefois, même si le tombeau se trouve à plus d’un kilomètre de la rivière, il lui est arrivé au fil des siècles d' être inondé. En conséquence, les trois chambres constituant l’ultime demeure du pharaon – toutes taillées dans la pierre sous le sable du désert – sont pour le moment sous eau.

Mais, bien entendu, la pyramide de Nastasen ne représente qu'un exemple parmi d'autres à Nuri, et toutes ces imposantes structures appartiennent à un plus grand complexe initialement construit sous la culture de Napata. Les pyramides sont situées dans des régions sèches des deux côtés du Nil qui appartenaient autrefois à la Nubie. Ces énormes édifices – tout comme d'autres dans la région – montrent des éléments d'art et d'architecture propres à la région autour de Nuri.

C'est grâce à ce caractère unique que les pyramides et d'autres sites de la région ont été classés ensemble au patrimoine culturel mondial de l'UNESCO en 2003. La montagne de Gebel Barkel, située à proximité, est importante non seulement pour les résidents locaux, mais aussi pour ceux ayant vécu des millénaires avant eux. En effet, à une époque, les égyptiens considéraient la montagne comme la demeure du dieu Amon.

Naturellement, ces pyramides ont une importance certaine, représentant les dernières demeures des rois kouchites et de leurs reines. Ces "pharaons noirs" étaient à l’origine soumis aux empereurs égyptiens, mais lorsque le Nouvel Empire s'est effondré, ils ont grandi en importance. En fait, à partir de 760 av. J.-C. environ, les Kouchites ont commencé à contrôler l'Égypte entière – et ils se sont eux aussi efforcés de laisser une empreinte sur leur territoire.

Les cinq pharaons noirs se sont spécialement tournés vers le passé pour y trouver une source d'inspiration. Et construire des pyramides – tout comme leurs lointains prédécesseurs créaient leurs tombes – appartenait à ces vieilles coutumes qu'ils ont choisi de faire revivre. Plus de 80 membres de la famille royale ont été enterrés à Nuri en tout, et une tombe sur quatre environ était couronnée par des pyramides.

En juillet 2019, Creasman explique l'importance historique des Kouchites lors d’un entretien avec la BBC. "[Les Kouchites] étaient sur l’unique corridor à travers le Sahara où l'on pouvait traverser le désert avec de l'eau potable en vue tout le trajet, ce qui leur donnait une position très importante". "Ceci date d’avant l'arrivée du chameau", dit-il.

Après la montée en puissance de Kouch en 2000 avant J.-C., son influence a connu des hauts et des bas, bien que la production d'or du royaume ne rende la région incontournable. Et même si les pharaons noirs ont été chassés hors d'Égypte par les néo-assyriens au septième siècle avant J.-C., ils ont néanmoins continué à régner sur leur domaine désertique jusqu'au quatrième siècle après J.-C., lorsque leur règne a pris fin.

Les sépultures royales de Nuri, quant à elles, auraient été initiées par le pharaon Taharqa, dont la pyramide est la plus grande de la région. Les descendants de Taharqa ont continué à se servir de la zone comme d’une nécropole pendant de nombreuses années. D'autres l’ont aussi utilisée dans le même but, y compris après que Kouch se soit évanouie dans les sables.

Si vous connaissez la Bible, le nom de Taharqa vous est peut-être familier, car le deuxième livre des Rois raconte l’histoire du jour où il repoussa une attaque assyrienne sur Jérusalem. Cette bataille représentant une victoire tant écrasante pour Taharqa que l'Égypte – tout comme Kouch – profita ensuite d’une longue période de paix. Le pharaon pu alors se consacrer à des travaux de construction, n’ayant plus de batailles à mener.

Mais bien que la pyramide de Taharqa à Nuri ressemble fort à ses homologues égyptiennes, on retrouve pourtant une grande distinction : alors que les pharaons égyptiens étaient enterrés dans leurs pyramides, les rois kouchites reposent sous les leurs. Excaver les chambres funéraires des Kouchites allait donc être plus délicat pour les archéologues, car cela allait requérir de creuser la roche sous les structures.

Le premier homme à tenter l’aventure fut George Reisner, un archéologue américain spécialiste de l'Égypte et de son histoire enfouie. Ses nombreuses connaissances et sa finesse de jugement lui ont valu d’être reconnu comme une autorité en matière de cette civilisation antique qui a jadis fleurie dans ce pays nord-africain. Mais avant de s'attaquer à Nuri, Reisner avait déjà creusé à par le passé à Gizeh, la célèbre demeure de la Grande Pyramide.

Reisner s’est donc rendu à Nuri au début du 20ème siècle pour creuser vers l’intérieur des chambres funéraires de Taharqa. En même temps, l'égyptologue dressait des cartes des autres structures de la zone. Il a également fait une autre découverte importante, à savoir que les eaux souterraines alimentées par le Nil allaient être un énorme obstacle pour la poursuite des fouilles sur le site.

Toutefois, Reisner ne publia même pas les résultats de ses études à Nuri, cela ayant pour conséquence que le site ne reçut pas l'attention qu'il aurait pu avoir. Par ailleurs, il semblerait que Reisner ne considérait pas les rois kouchites comme les égaux des égyptiens du point de vue racial, et qu'il ne voyait rien d’autre dans leurs bâtiments que des imitations de gloires passées.

Malgré la découverte du site funéraire de Toutankhamon en 1922, ayant suscité une attention mondiale, Nuri est restée relativement inexplorée. Les formidables défis posés par cet énorme site aux archéologues n'aidaient pas non plus. Plusieurs tombes étaient potentiellement submergées, et l'archéologie sous-marine n'avait pas encore été essayée au Soudan.

Ce n’est qu’en 2018 qu'un archéologue compétent se tourne vers Nuri. Creasman possède l'expérience en archéologie sous-marine qui fait défaut à Reisner, sans compter une connaissance approfondie en études égyptiennes. La liste de ses talents ne s'arrête pas là, car il travaille également dans le domaine de la dendrochronologie : l'étude des cernes des arbres.

Et depuis sa base à l'université d'Arizona, l’intérêt de Creasman pour l'Égypte ancienne et le Soudan l’amène à créer un programme de recherche dans ces deux pays. En fait, l'Expédition Égyptienne de l'université est opérationnelle depuis la fin des années 1980, en particulier à Thèbes et dans la Vallée des Rois. Le travail de terrain de M. Creasman lui a d'ailleurs valu la reconnaissance d’organismes de renom tels que la Royal Geographical Society.

Lorsque Creasman est arrivé à Nuri, il a donc décidé d’inspecter la tombe de Nastasen, qui fut roi de Koush entre 335 et 315 avant J.-C. En tant que dernier souverain à avoir sa tombe à cet endroit, Nastasen avait obtenu la parcelle de terrain la moins attirante, mais cela n'a pas découragé Creasman. L'archéologue a pensé, au contraire, que examiner le lieu de sépulture de Nastasen serait la solution idéale pour comprendre comment et dans quelle mesure les autres structures de la région étaient engorgées d’eau.

Nastasen régna vers la fin de la culture napatéenne, le centre du pouvoir nubien se déplaçant peu après sa mort vers Meroë. Ce changement allait alors provoquer un conflit entre la maison Napata et d'autres rois en demande pour le contrôle de Koush. Toute cette agitation contrastait fortement avec le règne de Nastasen, car le pouvoir qu’il avait exercé sur une région gigantesque était resté fort.

Nastasen avait fait montre de ce pouvoir lorsqu'un roi égyptien nommé Khabbash attaqua Koush. L’attaque ne se termina pas bien pour Khabbash, les forces nubiennes les ayant repoussés, lui et ses hommes, avant de le soulager d'une grande partie de son trésor et de ses forces navales. Et même si Nastasen lui-même est un personnage assez obscur, il y a une raison qui explique que les historiens d'aujourd'hui sachent quelque chose de ce conflit.

En effet, Nastasen avait fait construire une stèle d'un mètre de haut en granit suite à sa victoire sur Khabbash. La stèle, probablement utilisée comme ornement du temple d'Amon au Gebel Barkal, est ensuite apparue dans la ville de Dongola, située au bord du Nil, au nord du Soudan. Cette pierre possède des marques, qui représentent les exemples les plus récents de hiéroglyphes égyptiens connus. Ce message célèbre le triomphe du pharaon noir.

Pourtant, peu d'autres choses ont été découvertes à propos de Nastasen. Si quelqu'un désire en savoir plus, il lui faudra plonger dans sa tombe. Mais c’est plus facile à dire qu'à faire ; depuis l'expédition de Reisner, le niveau de l'eau a fortement augmenté.

Malgré tout, les ouvriers de Reisner ont été au moins capables de découvrir un escalier accédant à la tombe de Nastasen. Et après avoir excavé cet escalier, un des membres du groupe est même parvenu à descendre dans la crypte. Le chanceux en question y a creusé un trou et a mis la main sur quelques shabtis – des statues considérées comme magiques et faites pour veiller sur les morts dans leur prochaine vie.

Il n’avait malheureusement pas le temps de faire grand chose d’autre. En effet, l'équipe de Reisner a quitté les lieux assez rapidement, et la tombe a rapidement disparu de nouveau sous le désert. Lorsque Creasman arriva à Nuri, sa première tâche fut donc de retrouver l'escalier. Un véritable travail de longue haleine, qui prendra une année entière à creuser.

Ce n'est qu'en janvier 2019 que l'expédition de Creasman parvint à l'entrée de la tombe. Mais l’heure n’était pas pour autant aux réjouissances, car l'équipe s’est alors rendue compte que cette partie de la chambre funéraire était entièrement submergée. Les eaux souterraines s’étaient encore accumulées, peut-être à cause du changement climatique ou des barrages en construction sur le fleuve.

Creasman a évoqué ces fouilles au cours de son interview avec la BBC et a fait remarquer que son équipe était allée "aussi loin qu'[ils] pouvaient". Alors que l'escalier comptait 65 marches, les chercheurs n'avaient "descendu qu'une quarantaine de marches jusqu'à atteindre la nappe phréatique." Creasman a commenté: "[Nous] étions conscients que nous ne pourrions pas aller plus bas sans devoir plonger la tête sous l'eau."

Mais le danger se trouvait surtout dans la zone de la sépulture immergée, car les plongeurs pénétrant dans les chambres prenaient le risque de se retrouver pris au piège si les rochers entourant l'ouverture venaient à s’écrouler. C'est la raison pour laquelle Creasman a dû installer une sorte de toboggan en acier pour renforcer l'entrée. Il fallait se faire des pieds et des mains à travers ce toboggan pour entrer dans la tombe, pratiquement à l’aveugle car de minuscules particules rendaient l'eau extrêmement trouble.

Comme si cela n’était pas suffisant, les plongeurs n’avaient même pas la possibilité d’utiliser des bouteilles de plongée pour l’oxygène. En raison de l’espace limité de l'entrée, ces bouteilles seraient simplement trop encombrantes. Les archéologues ont donc dû se résoudre à dépendre d’un tube apportant de l'air depuis l’extérieur lors de leur entrée dans la tombe en janvier 2019.

Une fois parvenus dans la chambre funéraire, les plongeurs ont enfin pu apercevoir le sarcophage – cet énorme récipient en pierre dans lequel reposait la dépouille de Nastasen. Mais une fois encore, les membres de l’équipe ont dû ronger leur frein, car ils allaient devoir patienter une année supplémentaire pour jeter un oeil à l'intérieur. La fosse creusée des années auparavant par l’équipier de Reisner allait également devoir être examinée ultérieurement.

Creasman décrit le lieu où Nastasen est enterré à la BBC. "Il y a trois chambres avec ces beaux plafonds voûtés faisant la taille d'un petit bus", dit-il. "Vous passez d'une chambre à l'autre dans le noir complet. Vous êtes conscient d’être dans une tombe même si vos lampes de poche ne sont pas allumées. Et elle commence à révéler ses secrets."

Heureusement, toutes ces difficultés pour entrer dans les chambres se sont révélées utiles. Comme Creasman l'explique à Newsday, tous les shabtis n'avaient pas tous été pris. "Les offrandes en or – ces petites statues en verre recouvertes de feuilles d'or – se trouvaient toujours là", dit-il. "Et même si l'eau avait détruit le verre, les petits morceaux d'or étaient toujours bien là".

De plus, la présence de cet or découvert par les archéologues indiquait une histoire intéressante. L'eau semble en effet avoir empêché les voleurs de pénétrer dans la chambre funéraire. Après tout, s'ils avaient pu y pénétrer, ils se seraient sans doute emparés des statuettes en or pour se faire un peu d'argent facilement.

La découverte de feuilles d'or ne devrait pourtant pas représenter une trop grande surprise. Après tout, Koush était l’un des plus grands centres de production aurifère durant l'Antiquité. Les artisans kouchites ne créaient en effet pas seulement des bijoux, mais ils décoraient les lieux de culte et les figurines avec des feuilles d’or. Et le commerce de l'or apportait de nombreuses richesses à la nation, donnant une position d’influence à Kush vis-à-vis de la politique de son voisin égyptien.

Quelques années avant l'expédition de Creasman, des archéologues avaient en effet excavé un site situé dans le nord du Soudan qui aurait été crucial pour l'industrie aurifère de Koush. Les chercheurs y trouvèrent des pierres pouvant avoir été utilisées pour broyer le minerai afin d’en extraire les paillettes du précieux métal.

Il n’y a toutefois aucun doute sur le fait qu'il reste énormément de choses à découvrir à Nuri. En effet, si l'équipe de Creasman concrétise son objectif de creuser la tombe de Nastasen en 2020, elle pourrait bien tomber sur des trésors intacts alors enterrés près du pharaon. Et qui peut deviner ce qui pourrait se trouver à l'intérieur du sarcophage reposant dans la troisième chambre ?

Creasman a de grands espoirs pour ses fouilles, qu’il révèle au National Geographic. "Je pense que nous avons enfin la technologie pour raconter l'histoire de Nuri – pour remplir les blancs de l’histoire de la région", déclare-t-il. "C'est un moment incroyable dans l'histoire que peu de gens connaissent. C'est une histoire qui mérite qu’on la raconte".