Des plongeurs explorant les profondeurs de la Baltique découvrent une épave vieille de 400 ans en remarquable état

Une équipe est en plongée dans les eaux glaciales du golfe de Finlande, la partie la plus à l’est de la mer Baltique. Ils vont vers une épave qui daterait de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, ils trouvent quelque chose de complètement différent et d’inattendu. Il s'agit d'un navire marchand qui a fait naufrage il y a environ quatre siècles. Mais ce qui stupéfait les plongeurs finlandais, c'est que ce navire en bois vieux de 400 ans est presque totalement conservé.

En scrutant les eaux glacées, ils peuvent clairement apercevoir la forme du navire qui serait une flûte, un navire de commerce spécialisé construit par les Pays-Bas dont l’usage était très courant au 17e siècle. Ces navires voguaient sur la mer Baltique à une époque où les Hollandais étaient les principaux négociants maritimes dans ces eaux et à travers le monde.

Le navire repose sur sa quille à plus de 80 mètres sous la surface de l’eau, au fond du golfe de Finlande. Ce qui est incroyable, c’est que la cargaison est toujours présente dans la cale de cet ancien navire. Ces flûtes étaient de toute évidence construites pour la durée. Mais autre chose entrait en jeu ici aussi – la nature de la mer à cette profondeur.

En fait, à l’endroit où se trouve la flûte, le taux de salinité est incroyablement faible, tout comme la température et la lumière. Cela signifie que des organismes qui, en temps normal, ne prendraient pas beaucoup de temps à réduire le navire de bois en pièces, n’existent tout simplement pas ici. Cette situation est fortement contrastée avec celle d’une eau de mer plus chaude et plus salée, où un navire en bois disparaîtrait rapidement.

Une flûte n'est pas un mot qu’on utilise tous les jours, alors quelle est au juste l'histoire de ces navires hollandais? Eh bien, on peut en situer les origines chez les constructeurs de navires d'une ville portuaire nommée Hoorn, située dans le nord du pays à une trentaine de kilomètres au nord d'Amsterdam. L'histoire de la ville remonte au 8ème siècle et, celle-ci est rapidement devenue un important centre lié au commerce maritime après sa fondation.

Alors que le commerce de Hoorn se développait à travers le monde, naissait un besoin urgent de navires robustes capables de transporter des cargaisons sur de longues distances à travers les océans. Et c'est vers la fin du 16ème siècle que les flûtes apparaissent. Conçues et construites par des charpentiers hollandais professionnels, ces navires marchands étaient parfaitement adaptés aux lointains voyages commerciaux ayant permis à la Hollande de dominer les océans au 17e siècle.

L'aspect le plus révolutionnaire de la conception de la flûte réside sans doute dans la vocation unique de ce navire, à savoir le commerce. Auparavant, la plupart des navires devaient être capables de remplir deux rôles, celui du marchand et celui du navire de guerre. Ces navires transportaient des armements et des cargaisons, ce qui représentait un désavantage en matière de commerce.

Une bonne partie de l'espace à bord de ces navires à double usage était donc occupée par les canons, la poudre et les plombs. Il fallait ensuite inclure des espaces où les marins pouvaient manier les canons et combattre l'ennemi au cours des abordages, qu’ils soient attaquants ou défenseurs. Mais les flûtes, quant à elles, ne s’occupaient que d’une seule mission : le commerce.

Une flûte transportait un peu d’armement léger pour se défendre contre les pirates, mais la plus grande partie du navire était réservée au stockage des marchandises. La forme même de ces navires était pensée pour maximiser cette capacité de stockage. Sous leurs ponts assez petits, la coque s'évasait vers l’extérieur, ce qui créait plus d'espace.

Cette forme arrondie sous le pont comportait un autre avantage sans doute pensé par les astucieux constructeurs de navires de Hoorn. Les nations rivales, comme le Danemark, imposaient des taxes aux navires néerlandais en transit. Mais ces taxes étaient calculées à partir de la taille du pont. Un petit pont signifiait donc déjà un bénéfice concret.

La quille et la charpente des flûtes étaient construites en bois dur, tandis que les charpentiers avaient recours à du bois plus tendre comme le pin pour le bordage. Les flûtes, dont la taille de la proue à la poupe était d’environ 25 mètres, étaient équipées de trois mâts assez courts portant une voilure et leur gréement était d’une conception assez simple. Cela permettait de réduire le nombre de membres d'équipage au minimum et de libérer de l'espace pour la cargaison.

Ainsi pensée, la flûte était assez économique à construire et bon marché concernant l'équipage, car un petit groupe de marins était suffisant pour le faire naviguer. Selon un article écrit par l'historien Joe Wheatley et publié sur le site de la Captain Cook Society, une flûte lancée à l'eau pouvait rembourser ses coûts de construction en deux voyages commerciaux seulement.

Un autre aspect relatif à l'équipage d'une flûte était assez unique au 17ème siècle. Tous les marins, du cuisinier au capitaine, vivaient dans le même espace sur ces navires. Ils dormaient et mangeaient ensemble. Cela était hautement inhabituel au vu de la stricte hiérarchie des grades qui caractérisent la majeure partie des flottes au 17ème siècle.

Bien que la flûte ne soit pas le plus rapide des navires, le fait qu’elle puisse naviguer avec à peine 35 membres d'équipage à son bord faisait d’elle le navire de commerce idéal. Et cet avantage qu’elle possédait sur les navires marchands rivaux construits par d'autres nations était substantiel. Dans un article publié en 2013 sur le site Web Maritime Logistics Professional, Dennis Bryant révèle la mesure de cette supériorité.

Bryant affirme: "Elles étaient capables de transporter deux fois la cargaison de leurs homologues pour seulement la moitié du coût." Tout armateur aurait vendu père et mère pour un avantage pareil. Et ces flûtes ne naviguaient pas uniquement dans les eaux de la mer Baltique, assez proches pour les marins hollandais, mais se rendaient aussi en Inde et, un peu plus à l'est, jusque dans les îles indonésiennes.

Ces navires utilitaires ont de fait offert aux Pays-Bas la domination du commerce entre l'Extrême-Orient et l'Europe durant presque un siècle à travers la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Les flûtes transportaient des épices de grande valeur comme la noix de muscade, la cannelle et les clous de girofle, et réalisaient aussi un commerce florissant de soie et de coton. Leurs rivaux principaux étaient les Britanniques, mais quelle qu’en soit la raison, ceux-ci ne sont pas parvenus durant des années à construire des navires capables de rivaliser avec les flûtes hollandaises.

Voici donc l'histoire du navire découvert par les plongeurs finlandais en 2020, alors qu'ils étaient pourtant à la recherche de vaisseaux coulés au cours de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Mais qui étaient exactement ces aventuriers sous-marins fascinés par les naufrages historiques? Il s’agit en fait de plongeurs bénévoles appartenant à une association à but non lucratif appelée Badewanne.

Le mot finlandais badewanne se traduit par "baignoire". Ce choix peut sembler bizarre pour une association de plongée à but non lucratif. Ce nom provient en réalité du terme utilisé pour décrire la zone maritime concernée dans le golfe de Finlande, la Badewanne. Malgré l’excentricité du nom, le dévouement et le sérieux de ces plongeurs bénévoles ne peuvent être remis en question. Ils explorent en effet ces eaux glaciales depuis plus de 20 ans.

Les eaux que les volontaires de Badewanne explorent ainsi ont été le théâtre de très nombreux épisodes violents. Grâce à la flûte trouvée par les plongeurs, on sait déjà que ceux-ci remontent au moins jusqu’au 17ème siècle. Mais la période la plus turbulente pour le Golfe de Finlande est sans conteste le 20ème siècle, au cours duquel se sont multipliées les batailles navales.

Le site de Badewanne qualifie le golfe de Finlande de "capsule temporelle sous-marine" et l’ensemble des incroyables découvertes faites dans la région au fil des années justifie sans aucun doute cette description. Leur mission consistait à populariser l’histoire très riche des eaux qu’ils exploraient. Leur site précise en disant : "Grâce à notre travail, nous disposons aujourd’hui d’énormément de matériel de haute qualité issus de plusieurs projets allant des voiliers du 17ème siècle aux merveilles technologiques des temps modernes."

La première découverte d’importance faite par les plongeurs bénévoles remonte à 2004, lil s’agissait d’une épave du 18ème siècle, d'origine inconnue. Le navire se trouvait à une profondeur de plus de 60 mètres et, comme la flûte du 17ème siècle découverte en 2020, il était dans un bon état de conservation. Contrairement à la flûte, ce navire possédait 12 sabords et six canons étaient toujours présents à bord de l'épave.

Parmi les autres épaves fascinantes découvertes et analysées par les plongeurs de Badewanne se trouve le Pallada, un croiseur de la marine impériale russe, découvert en 2012. Coulé par les Allemands en 1914, il fut le premier navire russe à avoir été coulé par l’ennemi durant la Première Guerre mondiale. Plus de 600 membres d'équipage ont péri lors du naufrage.

Une autre victime de la Première Guerre mondiale découverte par l'équipe de Badewanne était le sous-marin S.M. U-26 de la marine impériale allemande. Ce qui est incroyable, c’est qu’il s’agit du bateau ayant coulé le Pallada. Les plongeurs de la Badewanne ont découvert le sous-marin quelques années après sa victime russe. On pourrait presque parler de juste retour des choses, car le U-26 a coulé suite à une collision avec une mine posée par les Russes dans le golfe de Finlande. Ses 30 membres d'équipage ont tous péri lors du naufrage, moins d'un an après avoir coulé le Pallada.

La connaissance de l’histoire maritime du golfe de Finlande doit donc énormément à ces intrépides plongeurs bénévoles de Badewanne. Leur dernière découverte, et sans doute la plus excitante, est donc cette flûte presque intacte datant du 17ème siècle. Mais pourquoi les eaux du golfe de Finlande sont-elles si prolifiques en épaves ?

Il y a deux réponses à cette question. D'abord, il s'agissait d'une route commerciale fort fréquentée. Ensuite, le golfe de Finlande et la mer Baltique ont été le théâtre d’escarmouches et de batailles navales aussi nombreuses que intenses. Si vous prenez une carte de la mer Baltique, vous remarquerez qu'elle est entourée par neuf nations différentes, dont l'Allemagne, la Russie et la Pologne.

Le fait que tant de pays se situent autour de la Baltique constitue sans doute la raison la plus simple pour expliquer toutes ces activités navales au cours des siècles, à la fois militaires et commerciales. En effet, selon le site du Maritime Heritage Project, cette mer contient plus d'épaves que n’importe où ailleurs sur la planète.

Et, comme mentionné ci-dessus, c'est dans le golfe de Finlande que l'équipe de Badewanne a découvert cette flûte du 17ème siècle sous plus de 80 mètres d’eau. Mais en quoi cette découverte est-elle si extraordinaire? Après tout, nous savons à présent que la Baltique est remplie d'épaves.

Mais cette flûte sort du lot grâce à son extraordinaire niveau de préservation. Les plongeurs de Badewanne ont filmé la flûte et ses environs, et c'est incroyable. Lorsque le plongeur muni de la caméra nage autour de l'épave, le niveau de détail qu’on retrouve sur cette épave vieille de 400 ans défie toute logique. Le fait qu'un navire en bois se soit maintenu dans un état de conservation aussi impeccable est stupéfiant.

Le film de Badewanne montre des rails en bois incrustés de vie végétale sous-marine, mais ayant conservé leurs formes originales. Des hublots carrés sur la coque sont entourés par des cadres sculptés, dont les détails apparaissent encore clairement. On retrouve aussi un cabestan en bois en parfait état, avec les trous pour les espars. La plupart des planches en bois du navire sont intactes et toujours bien fixées.

La poupe du navire a bien subi quelques dégâts, mais sa forme originale est toujours clairement visible. Le gréement de la flûte est éparpillé tout autour de l'épave sur les fonds sous-marins. Les dommages subis par le navire proviennent sans doute du chalutage de bateaux de pêche. Il semble en effet qu’un filet ait un jour été traîné sur la flûte de la poupe à la proue, même si seuls quelques fragments de filet subsistent sur le pont.

Bien que le hoekman, la figure humaine sculptée autrefois fixée à la poupe du navire, ait été déplacée, les plongeurs sont parvenus à la retrouver au fond de la mer près de la flûte. Mais se pose alors la question suivante : pourquoi ce navire en bois gisant au fond de la mer depuis quatre siècles ne s’est-il pas décomposé ? Après tout, il s’agit d’un destin auquel on pourrait s’attendre.

Nous avons mentionné plus haut que les eaux où repose la flûte du XVIIe siècle possèdent des caractéristiques très particulières et très rares. Contrairement à la plupart des mers et des océans à travers le monde, les eaux situées au fond du golfe de Finlande ont un très faible niveau de salinité. De plus, l’eau conserve une température glaciale toute l'année.

Cet environnement au fond de la Baltique est particulièrement inadapté aux organismes qui s’attaquent en général aux épaves en bois. En particulier, une créature au nom de ‘taret’ n’est pas capable de survivre dans ces conditions. Ces animaux, en fait de petites palourdes, sont les principaux responsables de la dégradation des navires en bois dans les eaux chaudes ou tempérées.

Et ces minuscules mollusques bivalves ne sont pas les seuls à faire des dégâts, leurs larves s’y mettant également. Ces animaux pondent en effet leurs œufs sur du bois immergé. Une fois ceux-ci éclos, les larves de tarets, tout comme les adultes, viennent ronger le bois et le mettre en pièces assez rapidement.

Ces petites palourdes représentent en fait une menace à la fois pour les navires en surface et pour les épaves, tout en causant également des dommages aux structures portuaires en bois. Le taret ordinaire, Teredo navalis, est extrêmement nuisible et très présent le long des côtes de la mer Baltique. Ces animaux n'ont qu'une toute petite coquille, d'où sort un tube pouvant atteindre une longueur de plus de 40 centimètres.

Malgré leur abondante présence sur les bords de la Baltique, les tarets ne sont pas capables de survivre dans les conditions qui sont celles des eaux plus profondes.Ce qui fait que les épaves de bois qui s’y trouvent depuis des siècles ont pu survivre dans un état de conservation avancé. Voilà l’explication de haut niveau de conservation de la flûte de Badewanne.

Mais quelle est au juste l'importance de cette découverte faite au fond du golfe de Finlande ? Un communiqué de presse émanant du groupe Badewanne 2020 à propos de la découverte de la flûte contenait une citation d'un archéologue maritime de l'Université de Stockholm, le professeur associé Niklas Eriksson. Celui-ci n'avait pas le moindre doute quant à l'importance de cette découverte.

Eriksson a déclaré : "L'épave présente de nombreuses caractéristiques propres à la flûte, mais également d’autres éléments uniques, par exemple la construction de la poupe. Ce navire pourrait être un exemple précoce de ce modèle. L'épave offre donc une occasion unique de s'intéresser au développement d'un type de navire ayant navigué à travers le monde entier et étant devenu l'outil à la base de la mondialisation moderne précoce."

Donc, selon Eriksson, le système commercial global contemporain, qu’on a si souvent tendance à considérer comme un phénomène intégralement moderne, trouve en réalité ses racines dans le commerce maritime du 17ème siècle. Pour être plus précis, on peut dire que ces flûtes hollandaises ont été les navires ayant permis l'explosion du commerce international, des épices à la soie.

On ne sera donc pas surpris par l’enthousiasme des archéologues en découvrant une flûte du 17ème siècle dans un état presque intact. De nos jours, d'énormes porte-conteneurs sillonnent les routes commerciales maritime du monde entier, mais nous pouvons à présent considérer ces flûtes en bois de 25 mètres comme leurs prédécesseurs du 17ème siècle. En attendant, les intrépides bénévoles de Badewanne poursuivent leur récolte des secrets fascinants de la mer Baltique.